13ème RNS - ORATEUR 3
27 jui

Menace épidémique, évitement du contact avec les cadavres et interdiction de la viande de brousse

Compte rendu des 13èmes rencontres Nord Sud

 

Session I : L’épidémie Ebola


Marc EGROT (IRD, Université de Montpellier) - Menace épidémique, évitement du contact avec les cadavres et interdiction de la viande de brousse

 

 

         Suite à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest (2014-2016), un programme d’Anthropologie Comparée d’Ebola (PACE, Expertise France) réunissant 5 pays (Guinée, Sénégal, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire) a été mis en place. Ce travail était basé sur une approche anthropologique s’appuyant sur l’immersion, la revue de journaux de terrain, le recensement de documents, une importante revue de presse et des entretiens individuels ou de groupe ainsi que des observations. L’axe d’étude principal était les mesures préventives vis-à-vis de la viande de brousse et des rites funéraires. En Côte d’Ivoire, le plan de communication du ministère de la santé s’est appuyé sur l’information des habitants qui devait amener à un changement de comportement. Il s’agissait d’une communication positive puisqu’aucune sanction n’était évoquée en cas de non respect des mesures sanitaires préconisées. En pratique, les changements de comportement demandés concernant les rites funéraires (manipulation hygiénique, enterrement rapide du cadavre, évitement des pratiques traditionnelles dangereuses) ont été difficiles à mettre en œuvre en raison de la non- formation/information des thanatopracteurs et des professionnels de la morgue. De plus, dans beaucoup de cultures, les rites funéraires sont un pilier de la dignité humaine et l’accompagnement de l’agonie à l’ancestralisation est primordial. Il s’agit d’un fait social total. Les mesures concernant la viande de brousse (interdiction de chasse, transport, commercialisation, préparation et consommation) ont été mieux avec néanmoins quelques stratégies de contournement. Il n’y a eu quasiment aucune sanction de prise ni aucune intervention des autorités de santé concernant le non respect de la manipulation des cadavres tandis qu’il y a eu des réactions musclées avec des amendes et des articles dans les journaux par rapport à la consommation de la viande de brousse. Il y a donc eu un paradoxe : la pratique sociale qui représentait le plus faible risque (consommation de viande de brousse) occupait la première place dans la communication et la répression alors que la pratique la plus à risque n’était pas médiatisée. Ce paradoxe peut s’expliquer par une opposition entre un risque familier (risque d’exclusion sociale en cas de non réalisation des soins mortuaires) et un risque lointain, étranger et hypothétique représenté par l’épidémie. On assiste à une catégorisation des risques et à une hiérarchisation des priorités. Les rites funéraires sont des pratiques sociales qui concernent tout le monde et qui impliquent les responsables politiques et les élus qui utilisent les rites funéraires comme baromètres, mais aussi catalyseurs de leur popularité politique. Les consommateurs de viande de brousse étaient déjà considérés comme des marginaux avant l’épidémie. Les discours sanitaires et médiatiques ont renforcé la stigmatisation de cette catégorie de population. Enfin, l’épidémie d’Ebola est survenue dans un contexte politique particulier moins de trois ans après la fin d’une crise militaro-politique qui a duré 10 ans dans un état fragile en pleine reconstruction. En conclusion, les mesures mises en œuvre pour gérer l’épidémie d’Ebola se sont heurtées à plusieurs obstacles comme la prudence et la frilosité de l’état dans l’exécution d’une mesure, les discours idéologiques sur la tradition dangereuse, et une volonté de l’état de démontrer sa capacité à gérer seul une crise et affirmer sa volonté d’une transition humanitaire.

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