Alors que la pandémie de Covid-19 fait rage, le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme, et la tuberculose, dans une longue séquence participative, prépare sa nouvelle stratégie 2023-2028.
D’ores et déjà, en décryptant le format des forums participatifs régionaux et les documents ressource utilisés par le Fonds mondial, on comprend que les grands fondamentaux stratégiques ne vont guère changer : approche verticale, maladie par maladie, menée par une organisation bureaucratique et difficile à bouger, du haut vers le bas.
On note, bien sûr, des adaptations, significatives, bienvenues, à la nécessité incontournable de mieux renforcer les systèmes de santé, de contribuer à la lutte contre la pandémie de Covid-19, et de s’adapter aux dures réalités du terrain, en matière de droits humains, de santé communautaire et d’intervention dans des pays instables et/ou faillis.
Cela dit, sur le fond, malheureusement, rien de neuf. La culture et la vision du Fonds mondial ne changent pas, voire prennent du retard sur les grandes évolutions de la santé globale, retard mortifère qui risque de casser la grande machine construite au début des années 2000 et responsable pendant 10 ans d’avancées majeures dans la lutte contre les trois maladies.
En effet, de notre point de vue, alors que le Fonds mondial et ses partenaires reconnaissent être « off-track » sur quasiment tous leurs objectifs, les choix qui se dessinent vont globalement dans le même sens que la stratégie précédente, à la même vitesse, voire plus lentement avec la pandémie de Covid-19, sans même évoquer l’idée de changements stratégiques, culturels et organisationnels radicaux.
Reconnaitre que la progression des acquis, voire l’atteinte de l’objectif principal, passe nécessairement par un engagement et un investissement majeur dans le renforcement des systèmes de santé (RSS) et continuer à proposer une approche d’abord centrée sur les maladies est une erreur majeure. Au lieu de lutter principalement contre les trois maladies et de renforcer accessoirement les systèmes de santé, en tant que de besoin pour contribuer aux objectifs verticaux, il faudrait renverser la perspective et décider franchement et massivement de renforcer les systèmes de santé d’abord et avant tout, santé communautaire comprise, tout en identifiant, ciblant et suivant de près les activités et indicateurs contribuant à la lutte contre les 3 maladies. En effet, si la stratégie du Fonds mondial atteint ses limites depuis déjà quelques années, c’est notamment parce que rien ne peut avancer sans une évolution radicale de la qualité des systèmes de santé. Les programmes verticaux ne pourront pas faire beaucoup plus.
Reconnaitre que, dans la plupart des pays, la part de financements et de responsabilités donnée aux sociétés civiles et aux communautés, est insuffisante et ne leur permet pas d’agir de façon significative dans le champ des droits humains, de l’équité et de l’accès à la prévention, notamment pour les jeunes femmes, et conserver le même système d’allocation et de ventilation des fonds est une erreur. Il est temps de renverser là aussi la perspective et de mettre la société civile sur un siège de décideur. Là aussi, seule une stratégie en profondeur, transversale, au plus près des communautés et des populations clés peut permettre d’aller plus loin.
Consacrer la majorité des fonds à l’achat de produits, notamment à travers la plateforme WAMBO, était probablement la bonne chose à faire, il y a 10 ans. Même si l’accès aux médicaments et l’approche biomédicale restent nécessaires, ils ne doivent plus primer sur l’autre besoin, essentiel et obligatoire pour continuer à avancer, le renforcement des systèmes de santé et de la société civile.
Enfin, les contributions du Fonds mondial à la lutte contre la pandémie de Covid-19 et à la sécurité sanitaire internationale sont bien entendu louables mais marginales. Elles ne sont pas à la hauteur des enjeux présents et à venir en matière d’émergences épidémiques. C’est aussi une erreur stratégique.
Pour conclure et résumer cette brève et peut-être brutale interpellation, nous pensons que le Fonds mondial, prisonnier d’une culture historique trop prégnante et d’une grande inertie structurelle, peine à réaliser que son modèle est trop ancien, bientôt caduque, et risque de rater l’opportunité historique de s’adapter au nouveau paradigme de la santé globale qui se dessine rapidement.
Nous espérons encore que le Conseil d’Administration, le Secrétariat Exécutif et surtout les nombreux partenaires et amis du fFonds réaliseront que cette belle organisation ne peut pas ne pas se montrer à la hauteur des nouvelles réalités et des nouveaux enjeux et donc se doter d’une stratégie réformatrice « extra » ordinaire répondant véritablement aux défis extraordinaires de la nouvelle ère qui commence. Il y faudra de la volonté, du courage et de l’innovation mais le fonds mondial a montré, dans le passé, ces qualités.
Dr Gilles Raguin - Directeur du Département Santé Globale à l’IMEA.